Armes mahdistes : Du Soudan à l’Afrique centrale, le pouvoir de la calligraphie arabe

Une contribution de Shaka AmaZulu (@shakaamazulu)

Résumé. — Les armes blanches mahdistes (Soudan) recouvertes de calligraphie arabe appelée thuluth, témoignent des bouleversements et des échanges interculturels qui se produisirent à l’époque de la révolution mahdiste dans le sud-Soudan dans le dernier quart du 19e siècle. Petit tour d’horizon de ces « beautés fatales » avec l’un de ses collectionneurs.


Parmi les armes blanches africaines souvent considérées comme des « beautés fatales » (Elsen 1992) en raison de leurs formes et des matériaux utilisés, certaines sont particulièrement mystérieuses : les armes mahdistes du Soudan. Sous cette appellation sont regroupées toutes les armes blanches dont les lames sont recouvertes de calligraphie arabe appelée thuluth, gravée à l’acide. Autre particularité : elles ont été exclusivement produites pendant la révolte mahdiste, aussi appelée la révolte des Derviches, de 1881 à 1899. Ces armes sont d’autant plus mystérieuses que peu de choses sont connues concernant leur usage et leur fabrication. Si la calligraphie thuluth est bien connue, elle est ici illisible, et ne semble être utilisée que pour sa force graphique.

Au 19e siècle, le Soudan est une société multiculturelle, multiethnique et multilingue, composée de centaines de groupes ethniques et linguistiques, qui connait de grands bouleversements avec l’arrivée des Ottomans et des Anglais. Ces différentes cultures se rencontrent et se confrontent : musulmans, chrétiens, juifs, animistes ; populations arabes, bantoues et nilotiques. Au cours de cette période, le Soudan est également marqué par d’importants mouvements de populations provoqués par les razzias organisées par des marchands arabes d’esclaves et d’ivoire. C’est ainsi que de nombreux groupes Banda, les peuples Adio, Kreish, et Bombeh ont été sévèrement décimés, voire éradiqués, ou ont fui vers l’Ouest pour échapper à ces razzias. Ces mouvements de populations se superposent aux migrations ancestrales au sein de la bande sahélienne, le long du Nil et de la vallée du Rift.

Les armes dont il est question ici et leurs mystérieuses inscriptions illustrent cette révolution.

La révolte mahdiste 1881–1899

Dans les années 1870, un certain Muḥammad Aḥmad (1848–1885) promet le renouveau de l’islam et la libération du Soudan. Il se proclame le Mahdi (al-Mahdī en arabe), c’est-à-dire « le bien guidé », et rejette les autorités turques et britanniques. Très religieux, il se retire d’abord dans l’île d’Aba, en amont de Khartoum, où il y vit en ermite, et intègre une confrérie soufie. Devenu derviche en 1881, il parcourt le pays et prêche le renoncement, avant de critiquer la réputation des fonctionnaires du gouvernement turco-égyptien. Il déclare être le « guide attendu », al-Mahdī al-Muntaṣir, et vouloir, par la guerre sainte, conquérir le Soudan, puis l’Égypte et tout le monde arabe, gagnant à sa cause un grand nombre des groupes ethniques du Soudan (Baggara, Jaʿaliyyin, Bedja, Fur, …). Les hommes du Mahdi se font appeler alAnṣār, les Alliés, et sont opposés à l’occupation étrangère. Après plusieurs victoires contre l’armée turco-égyptienne, les Mahdistes anéantissent le corps expéditionnaire britannique de William Hicks en 1883 et s’emparent de grandes réserves d’armes à feu et de munitions qu’ils utilisent ensuite pendant le siège de Khartoum, le 25 janvier 1885. Le général britannique Charles Gordon, chargé de l’évacuation de la ville, est tué. Muḥammad Aḥmad meurt la même année et est remplacé par le Khalīfa Abdullah ibn Muḥammad, qui devient le souverain de l’État mahdiste (1886–1899). Les Britanniques ayant décidé de réaffirmer la revendication de l’Égypte sur le Soudan, une expédition anglo-égyptienne, commandée par le maréchal Horatio Herbert Kitchener, est organisée en 1896. Les forces mahdistes comptent alors plus de 60.000 guerriers, mais manquent d’armes modernes. Les troupes anglo-égyptiennes atteignent Omdurman, la capitale mahdiste, en septembre 1898, et anéantissent l’armée des Derviches. Le Khalīfa Abdullah réussit à s’échapper et se réfugie dans le sud du Soudan. Il est finalement rattrapé à Umm Diwaykarat, où il est tué le 24 novembre 1899, mettant ainsi fin au régime mahdiste.

L’armée mahdiste : une organisation centralisée perfectionnée

L’armée du Mahdi (Ill. 1) est organisée en trois divisions, sous trois drapeaux différents : le drapeau noir, commandé par le Khalīfa Abdullah, le drapeau vert, commandé par le Khalīfa ʿAlī wad ḥilū, et le drapeau rouge, commandé par le Khalīfa Muḥammad al-Sharīf (Snook 2010, p. 8-17).

La division de base, appelée Rubʿ, est composée de 800 à 1000 hommes qui comprend trois unités de combat et une unité administrative. Chaque unité est divisée en sous-groupes de 100 hommes commandés par un Raʾs miyya, subdivisés en Muqaddamiyya de 20 ou 25 hommes, sous les ordres d’un muqaddam. L’ensemble est commandé par des émirs de la tribu arabe des Baggara.

Chaque division est constituée de trois corps principaux (Warner 2000, p. 226-227) : l’infanterie, armée d’épées et de lances, organisés en bataillons commandés par des chefs arabes. Les lanciers sont utilisés pour l’assaut. Ils sont divisés en sections regroupées derrière une bannière. L’émir est toujours accompagné d’un porte-drapeau. Certains Rubʿ sont composés de différentes tribus Baggara, Bedja, Jaʿaliyyin ou Danagla. Chaque section appartient à une tribu ou à une sous-tribu ; ensuite viennent les Jihādiyya, des esclaves-soldats africains, divisés en bataillons de 100 hommes, chaque bataillon étant divisé en quatre muqaddamiyya comme ci-dessus. La plupart des soldats sont équipés de fusils Remington. Les munitions sont fabriquées localement ; enfin, il y a la cavalerie, principalement des Baggara montant des chevaux du Darfour et des Bedja à dos de dromadaire. Chaque Rubʿ a comme soutien un groupe de cavaliers équipés d’une longue lance et d’une épée. Après la mort du Mahdi en 1885, l’armée est réorganisée sous le commandement du Khalifa, qui divise le Soudan en six régions administratives ou imālas, dirigées par des émirs (ʾamīr).

Les armes blanches mahdistes

On sait que les Arabes soudanais ont produit ces armes en grandes quantités dans les villes d’Omdurman et de Khartoum, mais aussi à al-Obeid, au Kordofan, et à al-Fasher, dans le Darfour (Spring 78-79). Certains exemplaires ont été retrouvés dans des territoires très éloignés du Soudan : à Kisangani (RDC), dans l’Est de la République Centrafricaine et jusqu’au Lac Tchad. Si certaines fabrications sont rudimentaires, à partir de simples plaques de métal découpées, à l’inverse d’autres sont forgées de manière très ouvragée, avec l’utilisation d’argent et des incrustations de cuivre. Il en est de même pour les poignées qui peuvent être recouvertes de simples bandelettes de cuir ou de peaux de varan et de crocodile. Certaines semblent copiées sur des armes déjà existantes au sein de groupes ethniques du Soudan et des pays voisins, alors que d’autres semblent directement importées ou copiées du Moyen-Orient. Elles sont tout autant utilisées pour combattre, montrer son pouvoir et son prestige, être arborées lors de cérémonies ou être portées comme des talismans.

Des copies d’armes traditionnelles du Soudan et des pays voisins

Les Mahdistes utilisent des modèles d’armes très diversifiés, souvent recouverts d’inscriptions. C’est le cas de l’épée appelée sayf ou kaskāra, caractéristique du Soudan, traditionnellement utilisée par les Bedja, les Beni ʿAmer et les Hadendoa à l’Est du Soudan, puis largement répandue au sein des autres tribus arabes (Baggara, Fundj, Fur, …) pour devenir l’arme principale de l’infanterie et de la cavalerie mahdiste (ill. 2 & 3) avec la shalazieh (lance). C’est aussi le cas de dagues et de poignards (ill. 4 & 5) copiant parfois des couteaux Bedja ou Gule–Shilluk, protégés par un fourreau en cuir épais, en peau de varan ou de crocodile.

Une autre série d’armes de prestige et de commandement — haches à simple ou double lame (ill. 6), masses, haladie, arme à deux lames de poignard avec une poignée centrale en os ordinaire (ill. 7 & 8), double lance de commandement (ʿalam), lance en forme de trident (ill. 9 & 10) — sont très semblables à celles utilisées par les Soufis en Iran pendant la période qadjare, et sont également souvent recouvertes d’inscriptions, voire de motifs qadjars. Elles étaient importées de Perse, ou produites sur place en les imitant.

Mais les armes qui retiennent en particulier notre attention sont celles qui s’inspirent de modèles traditionnels utilisés au Darfour plus au sud, dans les territoires actuels du Sud-Soudan, de la République centrafricaine et du nord du Congo, souvent recouvertes d’inscriptions en arabe, qui sont cependant la plupart du temps illisibles. On peut les diviser en deux catégories : couteaux cérémoniels et armes de jet.

Les couteaux cérémoniels : ce couteau est probablement la copie d’un modèle d’origine Mongo de l’est (Ngandu, Saka, Lalia), dont un exemple est reproduit ci-contre (ill. 11 & 12). Ce couteau mahdiste (20 cm) dispose d’une gaine en cuir épais ; sa poignée en bois est couverte de bandages de cuir de couleurs différentes pour former un damier noir et blanc.

Une autre lame mahdiste (46 cm) est la copie d’un couteau cérémoniel Fur (49 cm). Les motifs traditionnels gravés sur la lame ont été remplacés par des inscriptions imitant l’arabe (ill. 13 & 14). Selon l’importance et la richesse du propriétaire, la poignée est recouverte de simples bandelettes de cuir, de peau de varan ou de peau de crocodile.

Les couteaux de jet : ces deux couteaux mahdistes (ill. 15 & 16), de respectivement 44 et 41 cm, sont des copies de couteaux de jet Banda (ill. 17 & 18) dont des spécimens sont reproduits ci-contre (38 et 41 cm). Les manches traditionnellement composés de fibres végétales ont été remplacés par de fines bandelettes de cuir, de peau de varan ou de peau de crocodile. Cet autre couteau de 35 cm (ill. 19) est une copie d’un couteau de jet Ngbaka–Mabo, dont un spécimen est reproduit ci-contre (32 cm) (ill. 20). Le couteau mahdiste dispose d’un manche recouvert de peau de varan et orné de lanières de cuir terminées par des perles et des cauris.

Un grand nombre de ces couteaux de jet a été retrouvé sur le champ de bataille d’Omdurman en 1898. La présence parmi les soldats du Mahdi de nombreux esclaves-soldats venant de régions lointaines d’Afrique centrale pour intégrer les troupes appelées Jihādiyya, peut expliquer ces copies d’armes pour les rassembler sous une seule bannière et être utilisées comme talismans pour se protéger des balles anglaises (Spring 1993, p. 78-79) — les Jihādiyya subissaient un double entrainement, militaire et religieux. Une grande partie du métal utilisé pour la fabrication de ces armes provenait d’anciennes voies ferrées du nord du Soudan à Wadi Halfa (Zulfo 1980 [1973], p. 98-100) et étaient simplement découpées dans le métal. Mais il est probable que les plus belles répliques de ces couteaux de jet étaient des cadeaux offerts aux chefs des peuples d’Afrique centrale qui aidaient les marchands d’esclaves arabes (Zubayr Pasha, Rabeh…) dans leur funeste entreprise.

Le pouvoir de la calligraphie

Comme nous l’avons dit plus haut, ces armes, notamment les armes de jet calquant des modèles du Darfour ou du nord du Congo, sont couvertes d’inscriptions en arabe. La présence d’inscriptions – versets coraniques, mentions du propriétaire, etc. — sur les armes blanches est une tradition multiséculaire dans l’ensemble du monde musulman. Mais dans le cas présent, soit ces inscriptions ne sont que la répétition de quelques lettres, identifiables mais à première vue incohérentes, soit les lettres elles-mêmes sont illisibles, s’agissant d’une imitation de l’écriture arabe.

La raison de l’illisibilité de ces inscriptions reste un mystère, mais plusieurs hypothèses peuvent être avancées : une première hypothèse serait que les artisans n’aient pas pris le temps de reproduire un texte de manière réaliste, parce que les armes étaient adressées à des esclaves-soldats ou à des musulmans fraichement convertis mais illettrés. Mais cela parait peu probable : on imagine difficilement un artisan musulman tricher sur le caractère sacré de l’écriture arabe, peu importe le public visé.

Une seconde hypothèse serait que la confection de ces armes, produites en grande quantité, ait été confiée à des artisans eux-mêmes illettrés, qui s’inspiraient de versets sans toutefois parvenir à les rendre lisibles, surtout lorsque les inscriptions étaient longues.

Une troisième hypothèse serait que ces inscriptions reproduiraient en réalité un langage magique, celui des djinns par exemple, plutôt que des inscriptions coraniques.

Le mystère subsiste, mais ces objets constituent en tout cas un exemple exceptionnel de ce que les contacts culturels entre le nord du Soudan arabo-musulman et les populations africaines du sud, et y compris le Congo, ont produit.

Shaka AmaZulu
(@shakaamazulu)

Bibliographie

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Le long voyage d’un poème arabe du 13e siècle en Afrique. « Le manteau » d’al-Busiri au Congo

Une contribution de Xavier Luffin (Université libre de Bruxelles)

Dès la fin du 19e siècle et durant toute la période coloniale, les observateurs européens décrivaient généralement – à quelques exceptions près – les commerçants arabes et swahilis installés au Congo comme étant des gens essentiellement, voire exclusivement intéressés par le négoce, pieux certes, mais peu soucieux de culture. Un premier coup d’œil aux documents retrouvés dans les différents fonds d’archives coloniales belges – ceux du Musée Royal de l’Afrique centrale à Tervuren et des Archives Africaines de Bruxelles notamment – semblait leur donner raison : lettres commerciales, contrats, listes de marchandises, reconnaissances de dette et autres traités constituaient l’essentiel des documents conservés.

Mais une analyse plus approfondie de ces archives vint rapidement contredire cette première impression. Tout d’abord, quelques livres en arabe – des exemplaires du coran, des recueils de prières, mais aussi des ouvrages d’astrologie et de magie – provenant tant du Maniema et de Stanleyville que de l’extrême nord-est du pays (l’Uele et l’enclave de Redjaf-Lado, aujourd’hui en territoire sud-soudanais mais rattaché à l’Etat indépendant du Congo jusqu’en 1908) faisaient également partie des documents arabes et swahilis ramenés à la fin du 19e siècle. Enfin, certains passages plus ou moins longs de textes arabes, plus rarement swahilis, se retrouvaient dans certains documents en apparence de nature commerciale.

L’un de ces documents est un cahier retrouvé aux Stanley Falls (aujourd’hui Kisangani), ayant appartenu à deux commerçants venus de la côte swahilie, comme l’indique une notice à la deuxième page : « en date du 12 du mois de jumādā al-ākhar 1309 [13 janvier 1892]. Ce cahier appartient à l’humble serviteur de Dieu Très Grand, Sa‘īd bin Thābit bin Sulaymān, et à Ḥabīb bin Sa‘īd bin Hāmīd. » Sa‘īd bin Thābit bin Sulaymān, aussi connu sous le nom de Saidi bin Sabiti en kiswahili, est un personnage bien connu de l’Histoire de la ville de Kisangani : neveu de Tippo-Tip, il fut nommé représentant des musulmans de Stanleyville par les autorités coloniales dès 1894, et le resta jusqu’à sa mort en 1899. Ses descendants continuent de jouer un rôle important dans la communauté jusqu’aujourd’hui. Le cahier, désormais conservé au Musée Royal de l’Afrique centrale à Tervuren, fut ramené en Belgique par un officier belge, Nicolas Tobback (1859-1905), qui fut notamment en poste aux Stanley Falls de 1888 à 1893.

C’est un cahier de facture européenne, mesurant 16 cm sur 20 cm, rempli de feuilles lignées et muni d’une couverture en toile noire. Les propriétaires du cahier y notaient toutes sortes de choses, en arabe surtout, mais aussi parfois en kiswahili en caractères arabes : des listes de marchandises, des transactions liées à l’achat d’ivoire en échange de tissus, des brouillons ou des copies de missives, mais aussi des carrés magiques, des passages d’un livre de magie, etc. à la 14e page , à la suite de l’enregistrement d’une transaction commerciale et avant un carré magique à la page suivante, figurent deux vers de poésie arabe, précédés de la basmalla (l’invocation de Dieu en arabe : « Au Nom de Dieu Clément et Miséricordieux ») :

أَمِنْ تَذَكُّرِ جِيرَانٍ بِذِي سَلَمِ    مَزَجْتَ دَمْعًا جَرَى مِنْ مُقْلَةٍ بِدَمِ

أَمْ هَبَّتِ الرِّيحُ مِنْ تِلْقَاءِ كَاظِمَةٍ    وَأَوْمَضَ البَرْقُ فِي الظَّلْمَاءِ مِنْ إِضَمِ

Un extrait du cahier de Sa‘īd bin Thābit et Ḥabīb bin Sa‘īd, Papiers Tobback, MRAC. Xavier Luffin, 2024.

Ces deux vers sont en réalité l’incipit d’un long poème – 161 vers – très célèbre dans l’ensemble du monde musulman, dû à un poète soufi égyptien d’origine maghrébine, Sharaf al-Dīn al-Būṣīrī (1213-1294), qui y fait l’éloge de Muḥammad. Voici la traduction française de ces deux vers, établie par le célèbre arabisant français René Basset (1855-1924) et publiée en 1894[1] :

« Est-ce le souvenir des voisins de Dhu Salam[2] qui fait couler de tes yeux des larmes mêlées de sang ?

Est-ce le vent qui souffle de Kâzimah, ou l’éclair qui brille dans les ténèbres, du côté d’Idham ? »

Le poème continue ainsi :

« Qu’ont donc tes yeux à verser des pleurs, quand tu les avertis de cesser, et pourquoi, lorsque tu dis à ton cœur : Prends le dessus, continue-t-il à être éperdu ?

L’amoureux pense-t-il pourvoir dissimuler sa passion, quand elle se manifeste par les larmes et un cœur brûlant ?

Si ce n’était l’amour, tu ne répandrais pas de pleurs sur les traces d’un campement : le souvenir de ce saule musqué et de ce point de repère ne te causerait pas d’insomnie.

Et le souvenir des tentes et de celles qui les habitaient ne t’aurait pas donné un extérieur affligé et misérable.

Comment nierais-tu ton amour, alors que la maladie et tes larmes prêtent contre toi un témoignage sincère ? … »

On appelle généralement ce poème Qaṣīdat al-Burda (« L’ode du manteau ») ou tout simplement al-Burda (« le Manteau »), même si son véritable titre est en réalité Al-kawākib al-durriyya fî madḥ khayr al-bariyya, « Les astres brillants à propos de l’éloge de la plus parfaite des créatures. » L’appellation populaire du poème provient d’un événement qui aurait entouré sa composition selon certains commentateurs : le poète, atteint de paralysie, composa un jour ce poème, puis se mit à invoquer Dieu afin de le guérir. Une fois endormi, il vit en songe Muḥammad poser un manteau sur lui après avoir placé la main sur son corps malade. À son réveil, al-Būṣīrī était guéri…[3]

Les 161 vers qui composent le poème se terminent tous par la rime –mi, constituant ce que l’on appelle en arabe une mīmiyya[4], et se subdivisent en plusieurs parties : un prélude, qui suit les canons de la poésie arabe classique, suivi des vertus de Muḥammad, d’une description de sa naissance, des miracles qui lui sont attribués, d’une description des vertus du coran, du Voyage nocturne de Muḥammad, des batailles qu’il a remportées, de son pouvoir d’intercession et enfin de prières.

Le poème était, et est encore, récité ou chanté dans l’ensemble du monde musulman, en particulier dans les milieux soufis, à diverses occasions, notamment le Mawlid, la célébration de la naissance de Muḥammad. De nombreuses copies du poème circulaient et circulent encore en Afrique de l’Est, y compris dans les bibliothèques de certaines mosquées comme celle de Riyadha à Lamu (Kenya), ce qui permet de penser qu’il faisait partie du curriculum des étudiants de la région[5].

Par ailleurs, le poème aborde la question de l’intercession – al-tawassul ou al-shafâ‘a en arabe, dont le poète lui-même a bénéficié selon le récit repris plus haut – comme dans les vers 86-87, toujours selon la traduction de Basset :

« Que de malades n’a-t-il pas guéris par l’attouchement de sa main et que de malheureux il a tirés des liens de la démence,

Sa prière a rendu la fertilité à l’année stérile, au point que, dans les temps sombres, elle brillait comme l’étoile au front d’un cheval. »

C’est pourquoi certains de ces vers sont aussi utilisés pour assurer la guérison des malades ou encore pour la confection de talismans – un ouvrage tardif du lettré égyptien al-Bājūrī (m. 1860) consacré au poème d’al-Būṣīrī explique comment tirer profit des vers d’al-Burda à des fins thérapeutiques, mais aussi magiques : se protéger des voleurs, de certaines maladies comme l’épilepsie, des animaux sauvages, mais aussi donner du courage aux guerriers et même aider les esclaves étrangers à apprendre facilement l’arabe…[6] Cela pourrait d’ailleurs expliquer la raison pour laquelle seuls les deux premiers vers du poème figurent dans le cahier, par ailleurs rempli de carrés et de formules magiques : Saidi bin Sabiti connaissait sans doute par cœur l’ensemble du poème ou une partie de ce dernier, mais il n’avait noté à dessein que les deux vers utilisés pour une demande d’intercession bien précise.

Le succès d’al-Burda dans le monde musulman fut tel qu’il conduisit à sa traduction dans de nombreuses langues : le persan, le turc, le malais, et aussi plus tardivement, probablement au 19e siècle, le kiswahili – plusieurs exemplaires manuscrits ont été retrouvés dans différentes archives de la côte tanzanienne – et fait l’objet de très nombreux commentaires. Voici d’ailleurs les deux premiers vers en kiswahili[7] :

« Ni kwa kukumbuka jirani wema

walioko hapo bi Dhi Salama

umelitanganya tozi kwa dama

kwamba ma‘anaye ni haya sema.

Amma ni upepo kupita kwake

kutoka Kadhima janibu zake

amma ni umeme kwa nuru yake

kuinuka kiza hapo Idhama ? »

La traduction swahilie a été augmentée d’un prologue de onze vers où le traducteur explique sa démarche (dans le troisième vers, il dit ceci : « j’ai traduit et expliqué [ce poème], j’en ai éclairci la signification, car l’arabe a un sens caché que tout le monde ne peut saisir ») et d’un épilogue de 19 vers. Je n’ai pas – pas encore – trouvé de traces de cette traduction swahilie au Congo. En revanche, la version arabe reste bel et bien vivante dans le patrimoine musulman congolais, cent trente années après le cahier de Saidi bin Sabiti : en septembre 2023, à Kisangani, j’ai montré la photographie de la page en question à Oyoko Hamzati Hamza, qui a immédiatement récité, de mémoire, les premiers vers de la Burda en respectant une prosodie particulière. Dans les jours suivant, j’ai vu ces mêmes vers reproduits dans divers exemplaires du Majmū‘ al-mawlid imprimés en Inde – un recueil de poèmes lus à l’occasion du Mawlid. Quelques mois plus tard, je vis encore des exemplaires similaires à Kasongo, dans le Maniema. Ainsi, la poésie a bien sa place dans la culture de la communauté musulmane congolaise depuis plus d’un siècle…

al-Burda, repris dans un exemplaire du Majmū‘ al-mawlid, Kisangani 2023. Xavier Luffin, 2024.

En guise d’épilogue, je voudrais mentionner la suite étonnante du voyage de ce poème depuis l’Afrique, occidentale cette fois : parmi les esclaves envoyés du Golfe de Guinée aux Amériques, il y avait dès le 18e siècle de nombreux musulmans, et parmi eux quelques lettrés. Ces dernières années, plusieurs études intéressantes ont été menées sur les quelques documents qu’ils ont laissé derrière eux, notamment des talismans composés par des lettrés haoussas, les Malé, qui furent à l’instigation d’une fameuse révolte d’esclaves à Bahia en 1835, c’est d’ailleurs suite à la répression de cette révolte et à l’arrestation des insurgés que l’on a saisi comme pièces à conviction et conservé plusieurs de leurs talismans écrits en caractères arabes. Or, l’un d’eux contient notamment un vers de la fameuse Qaṣīdat al-Burda, que l’un de ces esclaves érudits arrachés à l’Afrique de l’Ouest pour travailler dans les plantations brésiliennes avait mémorisé et réutilisé, à la manière des deux vers de notre cahier, à des milliers de kilomètres de sa terre natale, pour ses vertus protectrices…[8]

Notes


[1] R. Basset, La bordah du cheikh El Bousiri. Poème en l’honneur de Mohammed, Paris, E. Leroux, 1894.

[2] Dhu Salam, Kâzimah, Idham : différents lieux de la péninsule Arabique, liés à la biographie de Muḥammad.

[3] Voir notamment Basset, op. cit., p. V.

[4] En arabe, on classe les poèmes selon leur rime – la même tout au long du poème, quelle que soit sa longueur : le même al-Būṣīrī a composé un autre poème célèbre, al-Hamziyya, nommé ainsi car chaque vers se termine par la lettre arabe hamza, tandis qu’un autre poème célèbre du patrimoine arabe, dû à al-Shanfarā, s’appelle al-Lāmiyya, car ses vers se terminent par la lettre arabe lām.

[5] A. L. Bang, Localising Islamic knowledge: acquisition and copying of the Riyadha Mosque manuscript collection in Lamu, Kenya, in M. Kominko, From Dust to Digital Ten Years of the Endangered Archives Programme, Cambridge, Open Book Publishers, 2015, p. 142.

[6] S. P. Stetkevych, From Text to Talisman: Al-Būṣīrī’s « Qaṣīdat al-Burdah » (Mantle Ode) and the Supplicatory Ode, Journal of Arabic Literature, Vol. 37, No. 2 (2006), p. 146.

[7] J. Knappert, Swahili Islamic Poetry, Leiden, Brill, II, p. 165. La Hamziyya d’al-Būṣīrī, mentionnée plus haut, fut également traduite en kiswahili.

[8]  À ce propos, voir notamment N. Dobronravin, « Não só mandingas… », Afro-Ásia, 53 (2016), 185-226.

Documents arabes et swahilis du Congo (RDC) : mission exploratoire dans le Maniema (avril–mai 2024)

Une contribution de Xavier Luffin (professeur, ULB), Oyoko Hamzati Hamza (professeur, Université de Kisangani) et Shaibu Champunga (doctorant, ULB)

Résumé. — Compte-rendu d’une mission exploratoire menée en avril–mai 2024 à Kasongo, Kindu (Maniema) et Kinshasa, auprès de plusieurs interlocuteurs de la communauté musulmane.


En avril–mai 2024, nous avons mené une première mission exploratoire dans le Maniema, en nous concentrant sur Kasongo et Kindu, à propos de la permanence de l’usage de l’écriture arabe et du patrimoine qui y est lié. La mission s’est prolongée à Kinshasa, auprès de certains membres de la communauté swahilie originaire du Maniema installés dans la capitale.

Notre objectif principal était de nous rendre à Kasongo, centre historique important du Maniema, où les commerçants arabo-swahilis venus de Zanzibar se sont installés dans la seconde moitié du 19e siècle. Après une première étape à Kindu et un voyage de deux jours à moto sur une route peu hospitalière de 280 km, au milieu de paysages inoubliables, nous avons rejoint Kasongo. Grâce au cheikh Mahmoud, nous avons pu rencontrer plusieurs membres de la communauté musulmane locale, qui nous ont livré des informations très utiles sur l’histoire de leur communauté, mais aussi sur l’usage de l’écriture arabe dans la région, appliquée tant à l’arabe qu’au kiswahili. Nous avons aussi photographié divers documents : des livres en arabe qui circulent dans la région depuis plusieurs générations parfois plus d’un siècle, ainsi que des documents en kiswahili — en caractères latins et surtout en caractères arabes.

Ces documents viennent ainsi compléter notre base de données concernant la RDC, jusqu’ici constitués essentiellement de documents arabes et swahilis des deux dernières décennies du 19e siècle, conservés en Belgique, mais aussi de documents du 20e siècle, identifiés récemment à Kisangani (septembre–octobre 2023). Ils confirment l’utilisation du kiswahili ‘ajami (le kiswahili noté en caractères arabes) jusque dans la seconde moitié du 20e siècle dans l’est du Congo (ill. 1), mais aussi la popularité de certains ouvrages et leurs liens avec la littérature arabe diffusée en Afrique de l’Est en général, par exemple le Shams al-Ma‘ārif al-Kubrā attribué à Aḥmad al-Būnī, célèbre maitre soufi maghrébin du 13e siècle (ill. 2), ou encore le Majmū‘ mawlid sharaf al-anām de Ja‘far al-Barzanjī (18e siècle), récité tant à Kisangani et dans le Maniema qu’à Kinshasa et à Goma à l’occasion du Mawlid (célébration de la naissance de Muhammad), etc.

La confrérie soufie de la Qadiriyya (al-Qādiriyya en arabe, d’après le nom de son fondateur, ‘Abd al-Qādir al-Jīlānī, érudit persan du 11e siècle), qui a joué un rôle important dans la diffusion de l’islam dans l’est du Congo dès la première moitié du 20e siècle, reste particulièrement active et populaire à Kasongo et plus largement dans le Maniema, avec toutes les manifestations culturelles qui l’accompagnent : dhikr, cérémonies particulières, production de kaswida (de l’arabe qaṣīda), c’est-à-dire de poèmes en arabe et en kiswahili composés localement et chantés à certaines occasions : mariages, naissances, cérémonies funéraires, etc.

Les membres de la confrérie étaient désireux de partager leurs informations à propos de ce précieux patrimoine, nous avons donc pu enregistrer les témoignages de membres influents de la confrérie sur l’Histoire locale de celle-ci, notamment le cheikh Madua (ill. 3), mais aussi quelques kaswida, en arabe et en kiswahili. Ils nous ont également permis de photographier le drapeau de la confrérie (ill. 4), confectionné sur place il y a un siècle et gardé par l’un d’entre eux dans le « Quartier des arabisés », le nom donné par les autorités coloniales belges au quartier regroupant les musulmans locaux et qui est resté comme tel dans la mémoire collective.

De retour à Kindu, plusieurs rencontres nous ont permis de prolonger nos recherches, de photographier de nouveaux documents et surtout d’identifier de nouveaux fonds d’archives familiales qui feront l’objet d’une campagne d’étude ultérieure. Ce fut aussi l’occasion de réfléchir à de nouvelles perspectives de recherche, notamment la place particulière des Ouest-Africains ayant travaillé à la construction du chemin de fer dans la communauté musulmane du Maniema, et leur rôle dans la diffusion de certains livres.

Enfin, nous avons prolongé nos recherches à Kinshasa, notamment à la mosquée Citas, construite à l’époque coloniale pour la communauté ouest-africaine travaillant au chemin de fer Matadi–Léopoldville (Kinshasa), mais fréquentée aussi par les musulmans de l’ensemble du pays, y compris le Maniéma, de passage ou installés dans la capitale, où nous avons rencontré notamment le cheikh Kapuruta, une figure importante de la communauté et l’actuel imam de la mosquée Citas. À Nsele, à l’est de la capitale, nous avons également rencontré le Cheikh Hassan Kiatu, un intellectuel centenaire qui écrit encore aujourd’hui le kiswahili en caractères arabes, entouré de ses livres et de ses archives personnelles (ill. 5).

Des articles plus détaillés sur certains aspects de cette mission de recherche paraîtront dans les mois à venir sur notre site.

Remerciements. — Nous remercions Noemie Arazi (AfricaMuseum, ULB), dont les conseils précieux ont facilité notre voyage jusqu’à Kasongo, mais aussi Gaston Tembwe Watsa, Cheikh Omar Koita et Ahmed Dukure à Kindu, Cheikh Mahmoud à Kasongo, ainsi que tous les membres des communautés locales qui ont accepté de nous consacrer un peu — parfois beaucoup — de leur temps.

Quand les Azande échangeaient en arabe avec les Belges…

Une contribution de Xavier Luffin (Université libre de Bruxelles)

Résumé. — La correspondance des sultans azande avec les Arabes et les représentants de l’ÉIC dans le nord-est du Congo témoigne de l’appropriation de l’écriture arabe par la population locale. Elle offre par ailleurs un témoignage de l’intérieur sur l’Histoire politique, économique et sociale de la région durant les années 1890.


« Dieu est celui qui aide et accorde la réussite. De la part du Sultan Zemio, fils de Tikima, au chef estimé et important qui dirige le camp d’Ango, que la paix soit sur vous, que la miséricorde et les bénédictions de Dieu Très Grand soient sur vous également.

Nous vous informons qu’un marchand, qui s’appelle al-Hajj Ibrahim, est arrivé chez le Sultan Sasa avec ses vaches et beaucoup de marchandises, en compagnie de ses frères. Ils voudraient retourner dans leur pays. Son frère al-Hajj Tahir va vous rendre visite et vous informer de sa situation… »

C’est ainsi que commence cette lettre du sultan Zemio adressée au Commandant De Bauw, aujourd’hui conservée dans les archives du Musée royal d’Afrique centrale de Tervuren (rebaptisé AfricaMuseum en 2018), plus précisément dans le fonds Guillaume De Bauw (HA.01.0022). Zemio (m. 1912), fils de Tikima, était un chef important parmi les Azande établis dans l’Uele, dans le nord-est de l’actuelle RDC1. Après être entré en contact avec les commerçants soudanais arrivés dans la région dans les années 1860, il collabora dès 1879 avec les représentants du gouvernement égyptien qui avaient décidé de prendre le contrôle de la région du Bahr al-Ghazal, leur fournissant notamment des hommes pour leurs troupes, ainsi que de l’ivoire. Deux ans plus tard, il aida aussi les mêmes troupes égyptiennes à combattre les Mahdistes — les partisans du Mahdi, un leader politico-religieux originaire du nord du Soudan, qui s’était soulevé contre le gouvernement — installés dans la région. Lorsque les premiers représentants de l’Etat indépendant du Congo (ÉIC) — c’est le nom que portait officiellement le territoire sur lequel le Roi Léopold II avait jeté son dévolu de 1885 à 1908 — arrivèrent dans l’Uele en 1890, Zemio se mit à leur service, participant même à l’expédition vers le Nil menée par Guillaume Van Kerckhoven en 1892, et à celle du Bahr al-Ghazal en 1894. En 1909, les relations avec l’ÉIC s’étant détériorées, Zemio décida de s’établir en territoire français, dans l’actuelle République centrafricaine. Quant au Commandant Guillaume De Bauw (1865–1914), c’était un officier belge, devenu capitaine de la Force publique et chef de la zone Uere–Bomu (Uele) de 1897 à 1900. L’année suivante, il fut nommé commissaire de district de 1re classe, développa Coquilhatville (aujourd’hui Mbandaka), explora le Momboyo et fonda divers postes dans l’Équateur, avant de revenir en Belgique en 1904.

Mais revenons-en à la lettre citée ci-dessus : en apparence anodine — elle annonce la présence de commerçants, très probablement soudanais, dans la région — et relativement brève, elle fourmille pourtant d’informations intéressantes. D’abord, elle a été rédigée en 1897 ou en 1898, à l’initiative d’un important chef zande, et prouve donc que certains notables locaux s’étaient approprié l’écriture — arabe, en l’occurrence — avant l’arrivée des Européens dans leurs territoires, le bassin de l’Uele, aux confins de la République centrafricaine et du Sud-Soudan actuels. C’est un point important à souligner, car on a conservé de nombreuses autres lettres de la même période écrites en arabe, mais aussi en swahili en caractères arabes, provenant du Maniema et de l’actuelle Kisangani, toutefois leurs auteurs sont toujours des commerçants venus de la Côte swahilie. Elles témoignent donc de la circulation de l’écriture dans l’est du Congo, mais pas directement de son adoption par la population locale, un point sur lequel nous reviendrons plus loin.

En outre, cette lettre est adressée à un Européen, un officier belge au service de l’État indépendant du Congo. Elle atteste donc de l’existence d’échanges épistolaires entre sultans azande et représentants de l’ÉIC. Zemio y revendique le titre de sultan, un terme qu’il utilise aussi pour désigner Sasa, un autre chef zande, et il s’adresse au commandant De Bauw comme à un partenaire, tout en reconnaissant son autorité sur le camp d’Ango, et non en tant que vassal ou sujet d’une puissance étrangère.

Concernant la langue de la missive, elle est écrite en arabe certes, mais dans un idiome fortement influencé par le dialecte en usage au Soudan (le choix de certains mots comme zarība pour dire « camp », ou encore l’usage du participe présent plutôt que du verbe conjugué), en particulier dans l’ouest du pays (l’usage du préfixe n- pour les verbes à la première personne du singulier du présent). Si la règle veut que l’on écrive généralement en arabe classique plutôt que dans sa forme vernaculaire, réservée au registre oral, les missives commerciales ou personnelles sont souvent influencées par la variété dialectale de l’auteur. Ceci n’est pas propre à l’Uele ou au Soudan, en effet de nombreuses lettres, bien plus anciennes et issues des quatre coins du monde arabe, attestent de cet usage, pour le plus grand plaisir des dialectologues d’ailleurs. Dans ce cas précis, cela nous donne une idée de la lingua franca qui était pratiquée dans l’Uele.

Plusieurs témoignages indiquent que Zemio avait appris à parler l’arabe, vraisemblablement l’arabe soudanais, puisque c’étaient des commerçants venus du Soudan et parfois du Tchad qui avaient introduit cette langue dans la région. Mais sa lettre fut certainement rédigée par un secrétaire de ces mêmes contrées, un kātib en arabe. En effet, Gustave Gustin (1867–1911), un autre officier belge qui fut en poste dans l’Uele et qui participa à l’expédition Van Kerckhoven citée plus haut, dit explicitement à propos de Zemio : « il ne sait ni lire ni écrire, mais a un scribe arabe ou katip [sic]. » (Cité dans Salmon 1963 : 20.)

Par ailleurs, la lettre de Zemio commence par une série de formules de politesse inspirées de la culture musulmane, qui reflètent la culture religieuse du sultan. En effet, les Européens qui le rencontrent décrivent un homme ayant adopté la culture musulmane : il prie, il jeûne durant le mois de ramadan, il porte des vêtements arabes importés du Soudan, etc. C’est aussi le cas d’autres chefs azande, qui parlent l’arabe également — Charles de la Kéthulle, qui séjourna deux ans chez Rafaï au début des années 1890, indique que tous les habitants de sa cité parlent cette langue — possèdent parfois un exemplaire du coran, utilisent des amulettes contenant des versets coraniques, etc. Tout cela indique que si les quelques traces que l’on a pu conserver de l’usage de l’écriture arabe chez les chefs azande revêtent un aspect très politique et pratique — en l’occurrence la mise en place d’une forme d’administration locale reposant sur l’échange de missives — elle s’inscrivait en réalité dans une perspective culturelle plus large, d’ordre religieux notamment, comme en atteste d’ailleurs le fait que les secrétaires au service des sultans azande étaient avant tout des hommes de religions capables de lire des textes sacrés, de les recopier, de les utiliser et de les enseigner — c’est ce que révèle le titre de fagih ou faki (de l’arabe classique faqīh) porté par plusieurs d’entre eux selon divers témoignages de l’époque, celui de Moïse Landeroin par exemple qui va jusqu’à décrire quelques-uns des livres qu’Idris, le fagih du sultan Tambura, avait emportés avec lui depuis son Ouaddaï natal (aujourd’hui au Tchad, à la frontière avec le Darfour).

Cette missive doit être replacée dans le contexte plus large des autres lettres envoyées par les sultans azande — Zemio, mais aussi Sasa et Rafaï — lesquelles apportent encore bien d’autres informations sur l’Histoire de la région. Les documents qui nous sont parvenus ont été rédigés entre 1893 et 1899 — la plupart des lettres sont datées, bien que ce ne soit pas le cas de celle-ci, en suivant le calendrier hégirien en cours au Soudan voisin — et ne semblent constituer qu’une infime partie de la correspondance entre sultans azande et représentants de l’ÉIC, qui entretinrent des contacts de 1890 à 1911. Si les officiers belges firent appel à plusieurs interprètes et traducteurs maitrisant tant le français que l’arabe et recrutés au Proche-Orient, comme le Docteur Sabbagh, dont nous avons retrouvé l’une ou l’autre traduction dans les archives du commandant De Bauw, ou encore les Egyptiens Selim Talamas et Jacob Soliman et l’Irakien Ezekiel Matook (nous conservons l’orthographe de leurs noms tels qu’ils apparaissent dans les documents de l’ÉIC), c’est qu’il y avait suffisamment de travail à effectuer. Par ailleurs, les sultans azande n’écrivaient pas qu’aux Européens, bien sûr : parmi les lettres conservées, certaines ont été échangées entre sultans azande et commerçants soudanais, mais aussi entre Azande eux-mêmes, comme en témoigne un courrier envoyé par Rafaï à Zemio en 1893 ou en 1894. On peut aussi considérer que certaines lettres, tant en raison de la langue employée que de la manière d’écrire, ont été rédigées directement par certains sultans, sans passer par l’intermédiaire du faki — c’est très certainement le cas de la lettre de Sasa, dont on a conservé à la fois l’original et la traduction française faite sur place par le docteur Sabbagh : la langue utilisée est particulièrement proche de la langue parlée, et l’écriture ne semble pas maitrisée, elle n’est en tout cas certainement pas celle d’un scribe ou d’un faki et le docteur Sabbagh s’en plaint amèrement.

Par ailleurs, même si certains personnages et certains événements cités dans ces lettres restent obscurs — le nom des deux commerçants cités par Zemio par exemple, dont on imagine qu’ils sont venus du Soudan, sans en savoir plus — une foule d’autres informations de première main y apparaissent aussi, qu’il s’agisse du commerce d’ivoire, des relations avec les Mahdistes, de la présence d’esclaves, des denrées appréciées par les sultans (café, sel, sandales en cuir, mais aussi des biens importés d’Europe : armes à feu, parfum, tissus, boites à musique, etc.).

On peut encore agrandir le spectre de notre lecture de ces lettres officielles : si cette missive et le lot dont elle fait partie sont les seuls documents écrits émanant de la population locale et non de commerçants étrangers qui soient conservés pour cette époque, plusieurs indices nous indiquent qu’ailleurs au Congo, des chefs et souverains locaux ont échangé des lettres en arabe — ou en swahili en caractères arabes — de la même manière, c’est-à-dire grâce aux services de scribes attitrés ou occasionnels, capables de lire les missives reçues et d’y répondre. Ainsi, dans un courrier envoyé le 3 août 1893 depuis Zanzibar au roi Léopold II, le célèbre commerçant Hamad bin Muhammad al-Murjabi (c. 1840–1905), plus connu sous le nom de Tippo-Tip2, mentionne explicitement avoir envoyé des « lettres » au chef mkusu Ngongo Lutete, son ancien vassal passé ensuite aux côtés des Belges. Il faut aussi mentionner le cas du roi Msiri (m. 1891) à Bunkeya, la capitale du Garenganze, dans l’actuel Katanga, qui avait recours aux services des commerçants arabo-swahilis présents à sa cour pour rédiger des courriers, comme le remarquent notamment le missionnaire A. Swann lors de son séjour chez lui, ou encore le Capitaine Stairs.

Ce fut aussi le cas de certains chefs et souverains des pays voisins : au Buganda, le royaume qui donnera plus tard son nom à l’Ouganda, certains notables échangeaient également des missives en arabe grâce à la présence de scribes originaires de la Côte swahilie. Le roi Mtesa (m. 1884) par exemple envoyait des courriers en arabe à certains chefs de son royaume, mais aussi à l’extérieur, disposant lui-même de deux secrétaires, Masudi, originaire de la côte swahilie, et Idi, originaire des Comores. En conclusion, non seulement l’écriture arabe fut introduite dans certaines régions du Congo avant l’arrivée des Européens, mais en plus elle fut adoptée durablement par certains notables locaux, dans l’Uele notamment, qu’ils aient recours à des secrétaires ou qu’ils s’en servent eux-mêmes directement. Par ailleurs, l’écriture arabe n’était pas seulement un outil pratique permettant de communiquer de façon plus confidentielle avec des destinataires éloignés — entre Azande et Arabes, entre Azande eux-mêmes, et même entre Azande et Européens ! — elle faisait aussi partie d’un système culturel plus large, impliquant l’éducation religieuse, la confection d’amulettes, etc.

Xavier Luffin,
Université libre de Bruxelles

Notes

  1. Les Azande (singulier : Zande), vivent actuellement en RDC, au Sud-Soudan et en République centrafricaine. Leur langue, appelée le pazande, fait partie du groupe linguistique Niger-Congo. ↩︎
  2. Commerçant d’ivoire et d’esclaves originaire de Zanzibar, il opéra notamment dans l’est de l’ÉIC, où il fut d’ailleurs nommé officiellement gouverneur des Stanley Falls en 1887. Outre son autobiographie rédigée en kiswahili, la Maisha, traduite en plusieurs langues dont le français (voir bibliographie), on a conservé certaines de ses lettres en arabe et en kiswahili, notamment au Musée royal d’Afrique centrale de Tervuren. ↩︎

Bibliographie

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Evans-Pritchard, E. E. 1971. The Azande. History and Political Institutions. Oxford, Clarendon Press.

Kethulle, C. (de la) 1895. « Deux années de résidence chez le sultan Rafaï », Bulletin de la Société Royale Belge de Géographie, XIX : 397-428 ; 513-542.

Landeroin, M. 1996. Mission Congo-Nil (Mission Marchand). Carnets de route. Paris, L’Harmattan.

Lotar, L. (R. P.) 1940. La Grande Chronique du Bomu. Bruxelles, Institut royal colonial belge, mémoire Section des Sciences morales et politiques, IX.

Lotar, L. (R. P.) 1946. La Grande Chronique de l’Uele. Bruxelles, Institut royal colonial belge, mémoire Section des Sciences morales et politiques, XIV.

Luffin, X. 2004a. « The use of Arabic as a written language in Central Africa in the late 19th century: The case of some Azande documents », Sudanic Africa, 15 : 145-177.

Luffin, X. 2004b. « L’arabe parlé au Congo selon deux lexiques publiés par l’État Indépendant du Congo (1904-1905) », Annales Aequatoria, 25 : 373-396.

Luffin, X. 2017. « Arabic and Swahili documents from the pre-colonial Congo and the EIC (Congo Free State, 1885-1908): Who were the scribes?  », in Brigaglia, A. & M. Nobili (Eds.), The Arts and Crafts of Literacy: Islamic Manuscript Cultures in Sub-Saharan Africa. Berlin, De Gruyter.

Luffin, X. 2020. Un autre regard sur l’Histoire congolaise. Les documents arabes et swahilis dans les archives belges (1880-1899). Bruxelles, Fontes Historiæ Africanæ.

Salmon, P. 1963. La reconnaissance Graziani chez les sultans du Nord de l’Uele (1908). Bruxelles, Cemubac.

Salmon, P. 1965. « Récits historiques zande », Bulletin des Séances Académie royale des Sciences d’Outre-Mer, 11 (4) : 847-869.

Thuriaux-Hennebert, A. 1964. Les Zande dans l’histoire du Bahr el Ghazal et de l’Equatoria. Bruxelles, Éditions de l’Institut de Sociologie de l’Université Libre de Bruxelles.

The Long Journey of a 13th-century Arab Poem in Africa. al-Busiri’s “Mantle” in Congo

Xavier Luffin (Université libre de Bruxelles)

From the end of the 19th century and throughout the colonial period, European observers generally described – with a few exceptions – the Arab and Swahili traders settled in Congo as people essentially, if not exclusively interested in trade, pious indeed, but little concerned with culture. A first glance at the documents found in the various Belgian colonial archives – those of the Royal Museum for Central Africa (now AfricaMuseum) in Tervuren and the African Archives in Brussels in particular – seemed to prove them right: trade letters, contracts, lists of merchandise, and treaties made up the bulk of the documents that are preserved.

But a closer look at the archives quickly contradicted this initial impression. First of all, a number of books in Arabic – copies of the Koran, prayer books, astrology and magic books – from Maniema and Stanleyville, as well as from the far north-east of the country (Uele and the enclave of Redjaf-Lado, now part of South Sudan but attached to the Congo Free State until 1908), were also among the Arabic and Swahili documents brought back at the end of the 19th century. Lastly, certain passages of varying length from Arabic texts, and more rarely from Swahili, were to be found in certain documents of a seemingly commercial nature.

One such document is a notebook found in Stanley Falls (now Kisangani), that belonged to two traders from the Swahili Coast, as indicated by a notice on the second page: “dated the 12th of the month of jumādā al-ākhar 1309 [January 13, 1892]. This notebook belongs to the humble servant of God Most Great, Sa’īd bin Thābit bin Sulaymān, and to Ḥabīb bin Sa’īd bin Hāmīd.” Sa’īd bin Thābit bin Sulaymān, also known as Saidi bin Sabiti in Kiswahili, is a well-known figure in the history of the city of Kisangani: nephew of Tippo-Tip, he was appointed representative of the Muslims of Stanleyville by the colonial authorities as early as 1894, and remained so until his death in 1899. His descendants continue to play an important role in the community to this day. The notebook, now kept at the Royal Museum for Central Africa in Tervuren, was brought back to Belgium by a Belgian officer, Nicolas Tobback (1859-1905), who was stationed at Stanley Falls from 1888 to 1893.

It’s a European-style notebook, measuring 16 cm by 20 cm, filled with lined sheets and fitted with a black canvas cover. The notebook’s owners wrote down all sorts of things, mostly in Arabic, but also sometimes in Swahili with Arabic characters: lists of goods, transactions related to the purchase of ivory in exchange for cloth, drafts or copies of missives, but also magic squares, passages from a book of magic, and so on. On the 14th page (illustration 1), following the recording of a commercial transaction and before a magic square on the following page, there are two verses of Arabic poetry, preceded by the basmalla (the invocation of God in Arabic: “In the Name of God, Clement and Merciful”):

أَمِنْ تَذَكُّرِ جِيرَانٍ بِذِي سَلَمِ    مَزَجْتَ دَمْعًا جَرَى مِنْ مُقْلَةٍ بِدَمِ

أَمْ هَبَّتِ الرِّيحُ مِنْ تِلْقَاءِ كَاظِمَةٍ    وَأَوْمَضَ البَرْقُ فِي الظَّلْمَاءِ مِنْ إِضَمِ

Ill. 1: An extract from the notebook of Sa’īd bin Thābit and Ḥabīb bin Sa’īd, Tobback Papers, RMCA.

These two verses are in fact the incipit of a long poem – 161 verses – very famous throughout the Muslim world, by an Egyptian Sufi poet of North African origin, Sharaf al-Dīn al-Būṣīrī (1213-1294), who praises Muḥammad. Here is the English translation of these two verses, made by the renowned British Orientalist J. W. Redhouse (1811-1892) in 1880[1] :

« Is it from a recollection of neighbours at Dhū-Salam that thou hast mixed with blood the tears flowing from an eyeball?

Or, has the wind blown from the direction of Kādzima, and has the lightning gleamed in the darkness from Itzam? »

The poem goes on:

« What ails thy two eyes? If thou sayest, ‘Leave off,’ they fill. And what ails thy heart? If thou sayest, ‘Be tranquil,’ it is perplexed.

Does the deeply-entangled lover suppose that affection can be concealed, when it is being partly wept for, and partly suffered for?

Were it not for fondness, thou hadst not shed tears over projecting ruins, neither hadst thou remained sleepless with the memory of the moringa-tree and the long hill.

And how wilt thou deny love, when the truth-speaking witnesses, tears and wasting, have testified to it against thee,

And ardour hath fixed upon thy cheeks the two lines of grief and woe, like unto the corn-marigold and the ‘anam?“

Yea! The phantom of her I love passed before me, and made me sleepless. For love doth dash delights with pain… »

The poem is generally referred to as Qaṣīdat al-Burda (“The Ode of the Mantle”) or simply al-Burda (“the Mantle”), although its true title is actually Al-kawākib al-durriyya fî madḥ khayr al-bariyya, “The Shining Stars in Praise of the Most Perfect of Creatures.” The poem’s popular name derives from an event surrounding its composition, according to some commentators: the poet, suffering from paralysis, composed this poem one day, then began to invoke God in order to heal him. Once asleep, he saw Muḥammad in a dream placing a cloak over him after laying his hand on his ailing body. When he awoke, al-Būṣīrī was cured… 

The 161 lines that make up the poem all end with the rhyme -mi, constituting what is known in Arabic as a mīmiyya[2], and are subdivided into several parts: a prelude, which follows the canons of classical Arabic poetry, followed by Muḥammad’s virtues, a description of his birth, the miracles attributed to him, a description of the virtues of the Koran, Muḥammad’s Night Journey, the battles he won, his power of intercession and finally prayers.

The poem was, and still is, recited or sung throughout the Muslim world, particularly in Sufi circles, on various occasions, including Mawlid, the celebration of Muḥammad’s birth. Numerous copies of the poem circulated and still circulate in East Africa, including in the libraries of certain mosques such as Riyadha Mosque in Lamu (Kenya), suggesting that it was part of the curriculum for students in the region.

The poem also addresses the question of intercession – al-tawassul or al-shafâ’a in Arabic, from which the poet himself benefited according to the account given above – as in verses 86-87, again according to Basset’s translation:

« How many hath his [Muhammad’s] hand cured by the touch who were diseased; and hath skilfully set free from the halter of insanity!

And his prayer hath made the year of drought to be alive—so that it hath been told of as a chief [year] among the times of rich vegetation. »

This is why some of these verses are also used to ensure the healing of the sick or to make talismans, as explained by Redhouse in the introduction of his translation. A late work by the Egyptian scholar al-Bājūrī (d. 1860) devoted to al-Būṣīrī’s poem explains how to take advantage of al-Burda’s verses for therapeutic, but also magical purposes: to protect oneself from thieves, from certain illnesses such as epilepsy, from wild animals, but also to give courage to warriors and even help foreign slaves learn Arabic easily…  This may also explain why only the first two lines of the poem appear in the notebook, which is otherwise full of squares and magic formulas: Saidi bin Sabiti undoubtedly knew the whole poem or part of it by heart, but he had deliberately noted down only the two lines used for a specific request for intercession.

Such was al-Burda’s success in the Muslim world that it led to its translation into many languages: Persian, Turkish, Malay, and later, probably in the 19th century, Swahili – several manuscript copies have been found in various archives on the Tanzanian coast – and has been the subject of much commentary. Here are the first two verses in Swahili[3] :

« Ni kwa kukumbuka jirani wema

walioko hapo bi Dhi Salama

umelitanganya tozi kwa dama

kwamba ma‘anaye ni haya sema.

Amma ni upepo kupita kwake

kutoka Kadhima janibu zake

amma ni umeme kwa nuru yake

kuinuka kiza hapo Idhama ? »

The Swahili translation has been expanded with an eleven-line prologue in which the translator explains his approach (in the third line, he says: “I have translated and explained [this poem], I have clarified its meaning, because Arabic has a hidden meaning that not everyone can grasp”) and a 19-line epilogue. I have not – not yet – found any trace of this Swahili translation in Congo. In September 2023, in Kisangani, I showed a photograph of the page to Oyoko Hamzati Hamza, who immediately recited, from memory, the first verses of the Burda in Arabic, following a particular prosody. In the days that followed, I saw these same verses reproduced in various copies of Majmū’ al-mawlid printed in India (illustration 2), a collection of poems read on the occasion of Mawlid. A few months later, I saw similar copies again in Kasongo, Maniema. So, poetry has had its place in the culture of the Muslim community for over a century…

Ill. 2: al-Burda, taken from a copy of Majmū‘ al-mawlid, Kisangani 2023]

By way of an epilogue, I’d like to mention the astonishing continuation of this poem’s journey from Africa: as early as the 18th century, many of the slaves sent from the Gulf of Guinea to the Americas were Muslims, and some of them literate. In recent years, several interesting studies have been carried out on the few documents they left behind, notably talismans composed by Hausa scholars, the Malé, who instigated a famous slave revolt in Bahia, Brazil, in 1835. It was following the suppression of this revolt and the arrest of the insurgents that several of their talismans written in Arabic characters were seized as evidence and preserved. One of them contains a verse from the famous Qaṣīdat al-Burda, which one of these erudite slaves taken from West Africa to work on Brazilian plantations had memorized and reused, in the manner of the two verses in our notebook, thousands of miles from his native land, for its protective virtues…[4]

Notes


[1] Published in W. A. Clouston, Arabian Poetry for English Readers, Glasgow, 1881.

[2] A poem whose each verse ends with -mi.

[3] J. Knappert, Swahili Islamic Poetry, Leiden, Brill, II, p. 165. The Hamziyya of al-Būṣīrī, mentioned above, was also translated into Kiswahili.

[4]  See for instance N. Dobronravin, « Nao so Mandingas… », Afro-Ásia, 53 (2016), 185-226.