Archives de catégorie : Nouvelles / News

Retrouvez l’ensemble des nouvelles du projet « Kalamu na wino ».
Find here all the news of the project “Kalamu na wino”.

Documents arabes et swahilis du Congo (RDC) : mission exploratoire dans le Maniema (avril–mai 2024)

Une contribution de Xavier Luffin (professeur, ULB), Oyoko Hamzati Hamza (professeur, Université de Kisangani) et Shaibu Champunga (doctorant, ULB)

Résumé. — Compte-rendu d’une mission exploratoire menée en avril–mai 2024 à Kasongo, Kindu (Maniema) et Kinshasa, auprès de plusieurs interlocuteurs de la communauté musulmane.


En avril–mai 2024, nous avons mené une première mission exploratoire dans le Maniema, en nous concentrant sur Kasongo et Kindu, à propos de la permanence de l’usage de l’écriture arabe et du patrimoine qui y est lié. La mission s’est prolongée à Kinshasa, auprès de certains membres de la communauté swahilie originaire du Maniema installés dans la capitale.

Notre objectif principal était de nous rendre à Kasongo, centre historique important du Maniema, où les commerçants arabo-swahilis venus de Zanzibar se sont installés dans la seconde moitié du 19e siècle. Après une première étape à Kindu et un voyage de deux jours à moto sur une route peu hospitalière de 280 km, au milieu de paysages inoubliables, nous avons rejoint Kasongo. Grâce au cheikh Mahmoud, nous avons pu rencontrer plusieurs membres de la communauté musulmane locale, qui nous ont livré des informations très utiles sur l’histoire de leur communauté, mais aussi sur l’usage de l’écriture arabe dans la région, appliquée tant à l’arabe qu’au kiswahili. Nous avons aussi photographié divers documents : des livres en arabe qui circulent dans la région depuis plusieurs générations parfois plus d’un siècle, ainsi que des documents en kiswahili — en caractères latins et surtout en caractères arabes.

Ces documents viennent ainsi compléter notre base de données concernant la RDC, jusqu’ici constitués essentiellement de documents arabes et swahilis des deux dernières décennies du 19e siècle, conservés en Belgique, mais aussi de documents du 20e siècle, identifiés récemment à Kisangani (septembre–octobre 2023). Ils confirment l’utilisation du kiswahili ‘ajami (le kiswahili noté en caractères arabes) jusque dans la seconde moitié du 20e siècle dans l’est du Congo (ill. 1), mais aussi la popularité de certains ouvrages et leurs liens avec la littérature arabe diffusée en Afrique de l’Est en général, par exemple le Shams al-Ma‘ārif al-Kubrā attribué à Aḥmad al-Būnī, célèbre maitre soufi maghrébin du 13e siècle (ill. 2), ou encore le Majmū‘ mawlid sharaf al-anām de Ja‘far al-Barzanjī (18e siècle), récité tant à Kisangani et dans le Maniema qu’à Kinshasa et à Goma à l’occasion du Mawlid (célébration de la naissance de Muhammad), etc.

La confrérie soufie de la Qadiriyya (al-Qādiriyya en arabe, d’après le nom de son fondateur, ‘Abd al-Qādir al-Jīlānī, érudit persan du 11e siècle), qui a joué un rôle important dans la diffusion de l’islam dans l’est du Congo dès la première moitié du 20e siècle, reste particulièrement active et populaire à Kasongo et plus largement dans le Maniema, avec toutes les manifestations culturelles qui l’accompagnent : dhikr, cérémonies particulières, production de kaswida (de l’arabe qaṣīda), c’est-à-dire de poèmes en arabe et en kiswahili composés localement et chantés à certaines occasions : mariages, naissances, cérémonies funéraires, etc.

Les membres de la confrérie étaient désireux de partager leurs informations à propos de ce précieux patrimoine, nous avons donc pu enregistrer les témoignages de membres influents de la confrérie sur l’Histoire locale de celle-ci, notamment le cheikh Madua (ill. 3), mais aussi quelques kaswida, en arabe et en kiswahili. Ils nous ont également permis de photographier le drapeau de la confrérie (ill. 4), confectionné sur place il y a un siècle et gardé par l’un d’entre eux dans le « Quartier des arabisés », le nom donné par les autorités coloniales belges au quartier regroupant les musulmans locaux et qui est resté comme tel dans la mémoire collective.

De retour à Kindu, plusieurs rencontres nous ont permis de prolonger nos recherches, de photographier de nouveaux documents et surtout d’identifier de nouveaux fonds d’archives familiales qui feront l’objet d’une campagne d’étude ultérieure. Ce fut aussi l’occasion de réfléchir à de nouvelles perspectives de recherche, notamment la place particulière des Ouest-Africains ayant travaillé à la construction du chemin de fer dans la communauté musulmane du Maniema, et leur rôle dans la diffusion de certains livres.

Enfin, nous avons prolongé nos recherches à Kinshasa, notamment à la mosquée Citas, construite à l’époque coloniale pour la communauté ouest-africaine travaillant au chemin de fer Matadi–Léopoldville (Kinshasa), mais fréquentée aussi par les musulmans de l’ensemble du pays, y compris le Maniéma, de passage ou installés dans la capitale, où nous avons rencontré notamment le cheikh Kapuruta, une figure importante de la communauté et l’actuel imam de la mosquée Citas. À Nsele, à l’est de la capitale, nous avons également rencontré le Cheikh Hassan Kiatu, un intellectuel centenaire qui écrit encore aujourd’hui le kiswahili en caractères arabes, entouré de ses livres et de ses archives personnelles (ill. 5).

Des articles plus détaillés sur certains aspects de cette mission de recherche paraîtront dans les mois à venir sur notre site.

Remerciements. — Nous remercions Noemie Arazi (AfricaMuseum, ULB), dont les conseils précieux ont facilité notre voyage jusqu’à Kasongo, mais aussi Gaston Tembwe Watsa, Cheikh Omar Koita et Ahmed Dukure à Kindu, Cheikh Mahmoud à Kasongo, ainsi que tous les membres des communautés locales qui ont accepté de nous consacrer un peu — parfois beaucoup — de leur temps.